Stratégie 360° en droit de la musique : application contractuelle

L'application contractuelle de la stratégie 360° pour les producteurs de musique peut parfois se heurter à un droit français très protecteur de l'artiste. Comme nous l'avons déjà vu, le producteur cherche à élargir  l’assiette de ses rémunérations soit en demandant un retour financier sur l'activité d'un tiers intervenant dans le processus (360° passif), soit en étendant sa propre activité (360° actif). Pour ce faire, il va ajouter au contrat d'artiste des clauses qui y sont traditionnellement étrangères. Nous en étudierons la validité juridique à travers plusieurs hypothèses courantes. Et nous distinguerons dans chaque hypothèse l'application du 360° passif et celle du 360° actif, dont les conséquences juridiques sont très différentes.                
Hypothèse 1 - Le producteur cherche à profiter des revenus éditoriaux :            
Dans cette hypothèse, on suppose que l'artiste-interprète est également auteur des œuvres objets du contrat d'artiste.      
360° passif :   
Dans une stratégie passive, le producteur cherche à négocier un reversement commercial auprès de l'éditeur de son artiste/auteur. Dès lors, soit le producteur demande à l'artiste/auteur de faire contribuer son éditeur (s’il en a déjà un) aux frais d’enregistrement et de promotion de l’album envisagé, soit il insère dans le contrat passé avec l'artiste/auteur une clause par laquelle ce dernier se porte fort de ce que son futur éditeur (s'il n'en a pas encore) consente au producteur une participation commerciale, ou une cession d’une part de ses droits éditoriaux. Dans cette seconde situation, on imagine volontiers que ce type de clause réduit nettement le champ de négociation de l'auteur pour trouver un éditeur. Mais, surtout, si l'éditeur ne procède pas à ce reversement, cette clause risque d’être contestée. Elle pourrait être assimilée à une sanction pécuniaire imposée à l'artiste en sa qualité de salarié, qui serait par voie de conséquence tenu du paiement, sanction interdite par l'article L. 1331-2 du code du travail (article L.1331-1 : « Constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération » ; article L1331-2 : « Les amendes ou autres sanctions pécuniaires sont interdites. Toute disposition ou stipulation contraire est réputée non écrite »). Mais il n’est guère probable que cela soit admis, car la loi vise  un « agissement du salarié », et il est difficile de croire qu’il puisse prendre la forme d’un manquement contractuel. Enfin, le producteur peut aussi négocier avec son artiste/auteur un reversement commercial sur la part de droits d'auteur  de ce dernier.

360° actif :     
Le producteur peut également endosser lui-même le rôle d'éditeur à condition bien sûr d’en avoir la compétence. Il devra dans un premier temps s’assurer que les statuts de sa société prévoient bien l’activité « d’édition musicale ». En l’absence de cette mention, son inscription à la SACEM en qualité d’éditeur lui serait refusée. Il devra ensuite se faire céder les droits éditoriaux de son artiste/auteur par le biais d’un contrat d’édition en ce qui concerne les œuvres préexistantes et par le biais d’un pacte de préférence éditorial, inséré ou non dans le contrat d'artiste, pour les œuvres à venir. Ce pacte le liera exclusivement à l'artiste en sa qualité d’auteur pour cinq années au maximum (article L 132-4 CPI). Le producteur, en sa double qualité d’éditeur, sera alors soumis à l'obligation d'exploitation permanente et suivie des œuvres prévue à l'article L 132-12 du code de la propriété intellectuelle, obligation qu'il devra respecter dans son propre intérêt. En cas d'inexécution, l'auteur pourra demander la résiliation du contrat de cession d'édition. Le producteur-éditeur pourra aussi négocier un contrat de coédition avec l'éditeur des œuvres dont il produit l'enregistrement. Cette même obligation d'exploitation permanente et suivie reste applicable à la coédition. Mais, dans ce cas, il pourra être tenté de laisser son coéditeur se charger seul de l'exploitation des œuvres, si, son intention première n'était que de bénéficier d'une quote-part de droits d'auteur en tant que coéditeur. Dans une telle hypothèse, on pourrait considérer que le contrat de coédition se heurte à l'article 1169 du code civil (« Un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s'engage est illusoire ou dérisoire ») en raison de l’existence d'une contrepartie dérisoire. Il pourrait alors être annulé.    
Hypothèse 2 - Le producteur cherche à profiter des revenus du spectacle :
360 °passif :   
A cette fin, le producteur insère dans le contrat d'artiste une clause imposant à ce dernier de se porter fort du fait que le producteur de spectacle lui reverserait une partie des bénéfices de tournée de l'artiste. Ce type de clause avec l'éditeur pourrait, elle aussi, être qualifiée de sanction pécuniaire, prohibée par le code du travail. Mais dans cette hypothèse, le producteur se heurte à un obstacle supplémentaire dû au droit du travail. Ce type de clause va lourdement peser dans la négociation avec le producteur de spectacle. L'artiste se voit réduire à une peau de chagrin l’éventail des producteurs de spectacle avec lesquels il va pouvoir travailler. Le risque étant de n’en trouver aucun susceptible de le faire travailler. Le contrat signé avec le producteur de spectacle étant un contrat de travail (à la différence du contrat d'édition), ce type de clause se heurte au principe de la liberté du travail du salarié protégée par le droit du travail, consacré notamment par l’article L 1121-1 du code du travail, et risque d'être invalidée par un juge. Le producteur pourrait, certes, imaginer négocier un reversement commercial sur les revenus de l'artiste provenant du spectacle, mais encore faut-il que ce dernier bénéficie d'un intéressement suffisant sur le bénéfice de tournée.
360° Actif :    
Le producteur peut également se faire céder les droits d'exploitation scénique de l'artiste, à titre exclusif, et organiser la tournée de son artiste. Mais, en ce cas, il devra en avoir le statut et détenir une licence d'entrepreneur de spectacle dont les conditions d'obtention sont prévues aux articles L. 7122-3 et suivants du code du travail (article L. 7122-3 : « Toute personne établie sur le territoire national qui exerce l'activité d'entrepreneur de spectacles vivants doit détenir une licence d'entrepreneur de spectacles vivants… »).   

Hypothèse 3 - Le producteur se positionne en agent artistique de son artiste

360° Passif :  
Ecartons l'hypothèse où le producteur négocierait une commission sur les revenus de l'agent artistique de son artiste, car elle ne semble guère exister en pratique...

360° Actif :    
Pour le producteur, l'opportunité de prendre la casquette d'agent artistique de son artiste, à la condition de pratiquer réellement cette activité de placement de l'artiste (concert, télévision, radio...), semble intéressante. Il peut en effet bénéficier d'une commission, plafonnée certes à 15% au plus (article D. 7121-7 c. trav.), sur tous les revenus de son artiste (notamment ses droits d'auteur et ses salaires). Mais le producteur peut-il légalement exercer la profession d'agent artistique ? Le régime de la profession d'agent artistique a été assoupli par la loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010 et l'ordonnance n° 2015-1682 du 17 décembre 2015 qui prévoient désormais des conditions d'établissement simplifiées. Les incompatibilités professionnelles, la licence et même la déclaration préalable d'activité ont été supprimées. La loi précise bien d'ailleurs que l'agent artistique peut être une personne morale.   
Toute personne physique ou morale peut donc exercer cette activité dans le respect des dispositions des articles L. 7121-9 à L. 7121-13 du code du travail issus de la loi de 2010 qui précise le régime de la profession. Rien ne semble donc empêcher le producteur de représenter son artiste en qualité d’agent artistique. Néanmoins, si la loi de 2010 a supprimé toutes les incompatibilités prévues dans le régime antérieur, elle en a laissé une.  La loi prévoit que l'agent artistique ne peut exercer l’activité de producteur d’œuvres cinématographiques ou audiovisuelles. A première lecture, le producteur de phonogramme pourrait donc être agent artistique à la condition de ne pas produire d'œuvres audiovisuelles et donc de vidéoclips. Or, s'agissant de l'outil principal de communication de la musique de variété à l’heure actuelle, cette incompatibilité semble faire obstacle au cumul. Néanmoins, il est très difficile de comprendre cette incompatibilité dans le monde de la musique. Quel en serait d'ailleurs l'intérêt ? Un producteur ne sortant pas de vidéoclips aurait droit au cumul alors qu’un autre producteur ayant investi dans ce type de production audiovisuelle en serait exclu ? Pour le producteur phonographique, la production audiovisuelle n’est qu’une activité accessoire et on pourrait imaginer qu’il ne soit pas directement visé par le texte.  Il apparaît, en réalité, que cette incompatibilité (par ailleurs contestable au regard du droit européen, la directive de 2006, dite Bolkestein, sur les service étant d’un grand libéralisme) a été maintenue par la loi de 2010 afin de protéger les comédiens contre des agences artistiques puissantes qui joueraient le rôle de producteurs de films, ce qui aurait pour conséquence néfaste limiter la liberté pour les comédiens de trouver un travail (en permettant aux agences de contrôler à la fois l’offre et la demande de travail). Disposant de scénaristes, de réalisateurs et de comédiens à leur catalogue, ces grosses agences seraient en mesure de proposer une offre de travail au producteur audiovisuel, tout en la pourvoyant avec ses propres artistes. Cela porterait atteinte au principe de la liberté du travail. Pour cette raison la loi de 2010 a conservé le principe de l'incompatibilité des professions de "producteur cinématographique et audiovisuel" et d'agent artistique. Si l’on comprend mieux le maintien de cette incompatibilité dans le secteur cinématographique, il n’en reste pas moins que, au vu du texte en vigueur, le producteur phonographique et audiovisuel ne semble pas pouvoir cumuler le statut d’agent artistique.

- Hypothèse 4 : Le Producteur cherche à profiter de l'image de son artiste : le merchandising
Le Producteur va ici chercher à prendre part aux revenus générés par l'exploitation commerciale des produits dérivés, ou merchandising, reprenant les attributs de la personnalité de l'artiste (nom, image, logo, signature).  Ce merchandising peut être physique (T-shirt, affiches, casquettes, badges, stickers...) ou électronique (sonneries mobile, téléchargement de logos...).
360° Passif :  
Sous un angle passif, le producteur pourra négocier un pourcentage sur les revenus du merchandising exploité directement par l'artiste ou un tiers en contrepartie de son investissement sur le développement de l'image de l'artiste.      
360° Actif :    
Avec la crise du disque, le producteur se fait très souvent céder le droit d'exploiter les attributs de la personnalité de son artiste à titre exclusif sous forme de produits de merchandising physique et/ou électronique. Ce type de cession est libre selon la jurisprudence (Cour d'appel de Versailles, CT0012, du 22 octobre 2005, 328). Fort de cette cession, il pourra exploiter lui-même le merchandising de l'artiste et reverser une partie des revenus à l'artiste. Attention si le nom de l'artiste a été enregistré à l'INPI et constitue juridiquement une marque de fabrique, le producteur devra signer également une licence d'exploitation de marque avec son artiste.

- Hypothèse 5 : Le Producteur cherche à profiter de l'image de son artiste : l'endorsement
Dans la droite ligne de l'exploitation des produits dérivés, la pratique de l'endorsement, inspirée du monde sportif et du cinéma, s'est développée avec la crise du disque. Il s'agit ici d'associer l'image de l'artiste à un produit, une marque ou un service commercial sous la forme d'une publicité. Outre l'intérêt pécuniaire, l'endorsement est vecteur d'une communication à grande échelle potentiellement très intéressante pour le développement de la carrière de l'artiste.

360° Passif :
Dans son aspect passif, le producteur négocie avec son artiste ou avec l'annonceur un reversement commercial sur les rémunérations issues de la campagne publicitaire (séance photographique, tournage vidéographique…) en contrepartie de son investissement sur la visibilité de l'artiste. Cette pratique semble peu adoptée par les professionnels mais rien ne semble s'y opposer dès lors que les parties y consentent.
360° Actif :
Dans cette hypothèse, le producteur se fait céder à titre exclusif le droit d'associer les attributs de la personnalité de l'artiste à des marques et services de société tierces dans le cadre de campagnes publicitaires.  C'est donc le producteur qui "place" l'artiste. Mais selon les termes de l'article L. 7123-2 du code du travail l'artiste sera dans ce cas considéré comme exerçant une activité de mannequin dès lors qu'il sera : " présent(é) au public, directement ou indirectement par reproduction de son image sur tout support visuel ou audiovisuel, un produit, un service ou un message publicitaire" ou qu'il posera : "comme modèle, avec ou sans utilisation ultérieure de son image".  Par ricochet, le producteur doit alors être considéré comme un agent de mannequin du fait de son activité de placement. Or cette profession est strictement réglementée par le code du travail qui soumet son exercice à l'obtention d'une licence sous conditions financière et d'honorabilité, sous peine de lourdes sanctions pénales. A ce jour, la grande majorité des producteurs qui pratiquent l'endorsement ne sont pas titulaires de cette licence et l'on ne voit pas ce qui les en exonèrerait... L'application du régime des agents de mannequin au producteur impliquerait d'ailleurs qu'il plafonne à 40% leur commission sur les redevances liées à l'exploitation des enregistrements publicitaires utilisant l'image de l'artiste. Ce qui n'est pas forcément respecté non plus...

Bertrand Lausinotte

Publié le : 
22 Octobre 2019
Auteur de l'article : 
Bertrand Lausinotte
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Bertrand Lausinotte