Une block chain pour la gestion des droits en musique ?

De quelle manière la technologie de la block chain pourrait-elle révolutionner un jour l’administration des droits dans la musique et peut-être se substituer aux sociétés de gestion collectives qui versent, après avoir récolté les redevances générées par les œuvres, la rémunération due aux ayants droit (auteurs, producteurs, interprètes…) ? La question mérite d’être posée et pour essayer d’y voir plus clair, nous allons comparer le déroulement d’une transaction concernant un titre musical par les moyens traditionnels utilisés aujourd’hui, et puis au moyen d’une block chain.

 

Dans le système actuel de transaction des œuvres musicales

Un individu A veut acheter une œuvre B pour en faire une utilisation donnée. Les ayants droit sont auteurs, producteur, artistes. Il s’adresse à la plate forme qui vérifie si l’utilisation demandée est permise par les ayants droit et à quel prix, puis l’individu A    paye à la plate forme une certaine somme au moyen de sa carte de crédit. La plate forme regroupe tous les montants afférents à l’œuvre B puis répartit périodiquement entre les mandataires des ayants droit les sommes encaissées. Les mandataires en question sont les sociétés de gestion d’auteurs et de producteurs. Ces dernières entités, après encore un certain temps et des frais de traitement donnent à chaque auteur ou artiste sa part.

 

Avec une Block chain

Reprenons le cas où un individu A veut acheter une œuvre B pour en faire une utilisation donnée. Les ayants droit sont auteurs, producteur, artistes. Le fichier B renferme dans sa trame numérique un nombre minimum d’informations comprenant à la fois les conditions d’utilisation autorisées par les ayants droit et un identifiant unique pour permettre de déterminer l’œuvre en cause dans une base de données géante qui, elle, contient tous les titres du marché avec l’ensemble des métadonnées nécessaires à l’identification et la rémunération de la totalité de leurs ayants droit.  L’individu A demande l’autorisation sur la block chain. Si la demande entre dans le cadre des conditions d’utilisation autorisées par les ayants droit, un smart contrat s’exécute. A obtient l’œuvre B pour l’utilisation demandée et au prix demandé. Les ayants droit sont alors immédiatement et automatiquement crédités du montant demandé et la transaction est enregistrée de manière définitive et indélébile et expédiée sur l’ensemble des ordinateurs membres de la chaine qui en auront une copie cryptée.

 

Fonctionnement

Il s’agit d’une technologie qui utilise le peer to peer, c’est-à-dire un échange d’informations entre ordinateurs. Parmi eux figurent ceux des personnes qu’on appelle des « mineurs », personnes qui, par le biais de leurs machines et de la puissance de calcul de celles-ci, s’assurent du bon déroulement échanges, de leur bon enregistrement sur un livre commun : c’est en quoi consiste le « minage ». Voyons maintenant comment cela marche concrètement

Lorsque A initie sa transaction, sa demande est validé par les mineurs puis, toutes les données de la transaction vont être regroupées pour migrer vers les nœuds du réseau pour constituer un bloc crypté qui est ensuite daté puis expédié sur la chaine. Ces mineurs et ces nœuds ne sont ni plus ni moins, comme dans toute technologie p2p (pair à pair ou peer to peer, de type eMule par exemple), que des ordinateurs de particuliers ou d’entreprises membres de la chaîne sur lesquels est installée l’application (la même qui permet d’accéder à la block chain) et qui mettent leur puissance de calcul résiduelle au service de la communauté pour opérer en mode crypté et anonyme le rapprochement entre la demande de A, les métadonnées comprises dans le fichier B et la base de données globale qui, elle, comprend l’ensembles des données permettant de rémunérer les ayant droit.

Ainsi, après validation, le bloc d’informations est daté puis ajouté à la chaine. Les ayants droit sont crédités du montant de la transaction.

 

Que nécessite la mise en place d’une block chain ?

1) La création d’une base de données exhaustive des œuvres avec l’ensemble de leurs ayants droit. Attention : cette base de données ne doit pas nécessairement être physiquement centralisée sur un serveur unique. Elle peut être hachée – par une technique de cryptage – et disséminée sur l’ensemble des ordinateurs membres du réseau. Mais l’ensemble des œuvres, pour pouvoir y figurer, doivent comporter un identifiant propre au réseau et, afin que le travail de la chaîne puisse s’effectuer, la liste complète des ayants droit avec leurs coordonnées et leurs coordonnées bancaires.

2) La création d’une application dans laquelle seront intégrés les algorithmes de traitement des requêtes et de leurs réponses. C’est, en effet, cet algorithme qui vérifiera si la demande de l’individu A pour une utilisation donnée de l’œuvre B est recevable et dans quelles conditions puis exécutera le smart contrat qui lui est intégré. C’est encore cet algorithme qui, sur les ordinateurs des mineurs, vérifiera et validera la transaction (vérification du paiement par A, vérification que l’œuvre B est bien parvenue à A pour l’utilisation demandée, vérification que le paiement de A aura bien été réparti aux ayants droit concernés) puis regroupera l’ensemble des données de la transaction, pour l’expédier vers un nœud afin que ce dernier, toujours commandé par l’algorithme crée un block, le valide, le date et l’expédie sur la chaine. Le nœud a en outre pour fonction de veiller en permanence à ce que chaque ordinateur de la chaîne soit mis à jour des dernières transactions effectuées.

La chaine est ensuite totalement infalsifiable. Et les ayants droit, au moyen de leur clé privée peuvent à tout moment accéder à leur compte. Les utilisateurs pareillement.

Evidemment ces transactions doivent s’accompagner d’un mode de paiement qui peut être, bien entendu, la carte bancaire mais aussi une monnaie virtuelle dédiée à la block chain. Dans le cas de micro paiements tels que ceux qui pourraient résulter du paiement à l’acte du streaming, il vaut mieux avoir recours à une monnaie virtuelle qui serai ensuite convertie uniquement lorsque le montant atteint le permettrait.

 

En quoi la block chain peut-elle se substituer aux sociétés de gestion collective ?

Le système actuel de perception et de répartition des droits pour les artistes, les producteurs et les auteurs pêche aujourd’hui sur plusieurs points. La chaîne de distribution des droits crée un empilement de systèmes centralisés coûteux, lents et peu adaptés aux micro-paiements qui pourraient résulter d’une perception à l’acte des rémunérations dues aux ayants droit dans des domaines à faible valeur ajoutée, mais fort prisés du public comme le streaming, par exemple. Les plateformes sont aujourd’hui incapables de percevoir et d’affecter pour chaque fichier écouté une rémunération qui serait ensuite reversée aux ayants droit. Les deux systèmes utilisés sont un financement par la publicité ou un financement par voie d’abonnement. Dans les deux cas de figure les rémunérations qui ne sont pas individualisées sont ensuite dirigées vers les maisons de disques et les sociétés d’auteurs, à charge pour ces dernières de les répartir à leurs ayants droit. Cette répartition est plutôt approximative et nécessite pourtant, notamment dans le cas des sociétés d’auteurs, des investissements informatiques particulièrement lourds et une grande puissance de calcul qui vient s’ajouter à l’immense puissance de calcul elle-même nécessitée par les traitements informatiques des plateformes.

Par ailleurs, de plus en plus d’artistes sont aujourd’hui auto-producteurs de leurs œuvres et bien souvent également auteurs. Il peut leur sembler incongru de devoir passer par des agrégateurs pour assurer leur distribution numérique et la collecte de leurs rémunérations et par des sociétés de gestion collective pour la collecte de leurs droits d’auteurs,  tout cela pour un résultat plutôt médiocre, tant en terme de rémunération que de délais de paiement.

La block chain peut à juste titre leur sembler une solution efficace, gratuite et rapide.

De même, les plateformes peuvent être désireuses d’offrir à ces artistes, auteurs, auto-producteurs, titulaires de 100% de leurs droits, des outils gratuits et rapides de collecte individualisée de leurs rémunérations.

Le paiement à l’acte des diffusions en streaming ne peut s’effectuer autrement qu’au moyen de la block chain : or, d’une part, le streaming semble être le futur de la consommation musicale et, d’autre part, le paiement à l’acte sera toujours jugé plus vertueux et plus juste que la gestion de forfaits, tout cela dans un contexte où l’auto production, dans une industrie en crise perpétuelle, semble elle aussi promise à un grand avenir.

Les sociétés de gestion collective auraient intérêt à se pencher rapidement sur cette question, avant que les plateformes et en particulier les acteurs majeurs du secteur (iTunes, Google, Amazon) ne décident de tenter eux mêmes l’expérience.

Jamais un outil informatique centralisé ne pourra atteindre la puissance de calcul de millions d’ordinateurs réunis en grid computing pour supporter une block chain. La puissance du peer to peer n’est plus à démonter aujourd’hui.

Alain Charriras

Publié le : 
06 Novembre 2016
Auteur de l'article : 
Alain Charriras
Source(s) : 
Divers