Paroles et musique

Quand bien même il a été rendu à propos de musique, l’arrêt de la Cour de cassation du 14 octobre 2015, Sté artists Plus, intéresse la propriété littéraire et artistique en général et, plus particulièrement les œuvres plurales, en l’espèce les œuvres de collaboration, où deux créateurs, ou plus, unissent leurs efforts pour une œuvre commune : selon cet arrêt « l'œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs qui doivent exercer leurs droits d'un commun accord » (Civ 1ère 14 octobre 2015, pourvoi n° 14-19214, CCE 2015 comm. 96, obs. C. Caron). La fusion d’apports imputables à plusieurs personnes peut se rencontrer dans divers domaines – coauteurs d’une œuvre littéraire, contributions à une œuvre multimédia, réalisation de logiciel (et V. A. Lucas, H.-J. Lucas et A. Lucas-Schloetter, Traité de la propriété littéraire et artistique, 4ème éd., 2012, n° 184 s.)… –, mais on la voit s’illustrer souvent en matière musicale : paroles et musique pour une chanson, livret et composition pour un opéra… En l’occurrence, l’un des coauteurs de plusieurs chansons confiées à un éditeur avait demandé en justice la résiliation du contrat passé avec celui-ci en raison des fautes qu’il alléguait contre lui, cependant que l’autre coauteur s’y opposait : la cour d’appel lui avait donné satisfaction, en estimant que « l'opposition (du second) coauteur desdites œuvres, à la demande de résiliation formée par (le premier), ne vaut que pour ses propres liens contractuels avec la société éditrice et ne fait pas obstacle au prononcé de résiliation à l'égard (du premier) », mais son arrêt fut cassé.

Selon l’art. 113-3 du code de la propriété intellectuelle, l’œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs : ils sont à cet égard en copropriété et ils doivent exercer les droits sur cette œuvre d’un commun accord (solution bien établie, V. A. Lucas, H.-J. Lucas et A. Lucas-Schloetter, précités, n° 199). A défaut de s’entendre, ajoute l’arrêt de la Cour de cassation, celui qui souhaite la résiliation doit « saisir la juridiction de leur différend ». Mais que peut-il demander ? C’est là que les difficultés commencent (sur ce point V. A. Lucas, H.-J. Lucas et A. Lucas-Schloetter, précités, n° 200, qui envisagent principalement un désaccord sur l’exploitation des droits : contrats à conclure, répartition des produits…). Certainement, le juge saisi ne pourra pas faire prévaloir la volonté de l’un sur celle de l’autre. Seule, une faute, imputable à l’un des coauteurs ou à l’éditeur peut conduire à une solution. Une faute de l’éditeur, et plus généralement celle d’un tiers – par exemple un contrefacteur –, peut justifier qu’un tribunal autorise l’un des coauteurs à agir seul, en dépit de l’opposition de l’autre. Car il est souhaitable que la responsabilité de celui qui a commis cette faute soit reconnue. Et d’ailleurs, dans l’espèce jugée le 14 octobre 2015 une telle faute devait exister pour qu’en appel la résiliation du contrat fut prononcée : mais il aurait fallu que le coauteur désirant la voir prononcée l’invoquât dans une instance dirigée contre le coauteur qui s’y opposait, pour voir trancher ce différend par le juge et pour se voir autorisé à demander cette résiliation. Quant à la faute d’un coauteur, on admettra facilement qu’elle justifie que son coauteur obtienne d’être autorisé à effectuer les actes d’administration et les actions en justice utiles à l’exploitation de l’œuvre commune.

Publié le : 
28 Février 2016
Auteur de l'article : 
jérôme Huet
Source(s) : 
Jurisprudence