L’exception prétorienne de rencontre fortuite en musique

Dans un arrêt de la Cour d’appel de Versailles, rendu sur renvoi le 21 avr. 2020, on voit écarté le grief de contrefaçon dans une hypothèse où s’est produit une rencontre fortuite entre deux créations : celui qui était accusé de contrefaçon a pu rapporter des indices suffisants démontrant qu’il n’a pas pu connaître l’œuvre dont il aurait pu s’inspirer. En l’espèce, un artiste suisse auteur de la composition musicale intitulée « For Ever » assigne en contrefaçon de son œuvre l’auteur-compositeur, le coauteur, l’éditeur et le coéditeur des compositions musicales « Aïcha 1 » et « Aïcha 2 ». Le Tribunal de grande instance de Paris, ayant constaté la prescription de l’action sur les droits patrimoniaux, fait droit aux demandes de l’artiste suisse sur le fondement de l’atteinte à son droit moral, dont on sait qu’il est imprescriptible. En appel, la Cour de Paris constate que la composition musicale « For Ever » n’est pas originale et déboute son auteur de ses demandes ; ce dernier se pourvoit en cassation. La Cour de cassation montre que la Cour d’appel n’a pas suffisamment caractérisé l’absence d’originalité de l’œuvre imitée et renvoie les parties devant la Cour d’appel de Versailles qui doit apprécier l’existence d’une atteinte. Elle décide tout d’abord que l’œuvre « For Ever », dans son ensemble et dans la combinaison de ses différents éléments, ainsi qu’en l’absence d’antériorités opposables, est appropriable par le droit d’auteur. Ensuite, elle procède à l’écoute des œuvres en cause et à l’analyse de leurs caractéristiques mélodiques, harmoniques et rythmiques, et conclut qu’il y aurait pu y avoir contrefaçon. Mais elle considère que les appelants démontrent à suffisance qu’ils n’ont pas pu connaître l’œuvre dont on leur reproche de s’être inspirés. Elle rappelle que, pour écarter la contrefaçon, le fardeau de la preuve d’une rencontre fortuite, comme il est prétendu en l'espèce, incombe aux appelants et qu’ils peuvent recourir aux indices pour démontrer ce fait négatif. Face aux indices suggérant l’absence d’exploitation, l’artiste suisse n’a pas pu prouver l’exécution publique de son œuvre avant la date de la création de l’œuvre critiquée. Certes, selon des témoignages, « For Ever » a été diffusée dans diverses discothèques en Suisse (le Valais et Sion), mais loin de Lausanne lieu de tournée de l’auteur-compositeur de « Aïcha » pendant deux jours en juin 1994. Il est inconcevable que l’auteur critiqué ait, en pleine tournée, voyagé pour s’y rendre. De plus, il n’a pas été démontré que ces discothèques aient une renommée particulière. Un autre témoignage d’un animateur affirmait le passage à la radio de l’œuvre litigieuse. Or, la radio invoquée a une zone de diffusion très restreinte, n’étant pas reçue à Lausanne. Par conséquent, les appelants rapportent la preuve que les similitudes constatées entre les œuvres « For Ever » et « Aïcha » résultent d’une rencontre fortuite qui exclut l’existence d’une contrefaçon. La théorie jurisprudentielle de la rencontre fortuite, qui vaut pour le droit d’auteur en général, est ici appliquée à la musique.

Publié le : 
24 Octobre 2020
Auteur de l'article : 
jérôme Huet
Source(s) : 
Divers