La vie de Jean Dréjac

Bien connu du public français de l’entre deux guerres pour de nombreuses chansons, voire ritournelles, vantant le bal musette et les berges de fleuves, Jean Dréjac s’est vu consacrer un livre par son fils, qui l’adorait (Frédéric Brun, Le roman de Jean, Stock 2008). On y apprend que l’homme était bon vivant, légèrement porté sur l’alcool, fanatique de jeux d’argent, au point de s’être fait interdire, et que c’est en gagnant aux courses qu’il eut suffisamment d’argent pour s’installer dans une bonne auberge où il entendit et composa les paroles du « Petit vin blanc »  (paroles : J. Dréjac, musique : Ch.Borel-Clerc, 1943), une de ses premières chanson qui allait le rendre célèbre. Il n’avait, dit son fils, « pas d’autre ambition que d’écrire des chansons honnêtement, pour exprimer (sa) joie de vivre, le plaisir du moment, le charme des choses simples, le secret désir de calme et de bonheur que chacun porte en soi » (op. cit., p. 49). Né à Grenoble en 1921, le petit Jean passe son enfance à la campagne et, adolescent, il brûle d’envie de monter sur les planches : malgré les réticences de ses parents pour cette vocation et l’effroi que suscite Paris, il monte très tôt à la capitale pour s’exposer dans des spectacles où il n’est guère – voire pas – payé et chante des refrains de Maurice Chevallier. Il a dix-sept ans et déjà, n’en ayant que seize, il s’était produit dans quelques spectacles locaux (op. cit. p. 24). Malgré les difficultés, et aussi quelques fiascos, et malgré le déclenchement de la guerre de 1940, il persévère. Jusqu’au « Petit vin blanc », au début des années 40, qui sera répété en boucle à la Libération (op. cit. p. 42). Suivront « Le p’tit bal du samedi soir » (paroles: J. Dréjac, musique : Borel Clerc, J. Delettre, 1947), « Les quais de la Seine » (paroles: J. Dréjac, musique : A. Lodge 1949):

J’adore les quais de la seine

La mine sereine

Des petits marchands

Le calme du vieux bouquiniste

Dressant une liste

D’invendus charmants

Par là dans le soir se promène

L’ombre de Verlaine
Poussée par le chant

Des violons qu’il a fait naître

Et qui font connaître

L’automne au passant

En 1949, il est au Caire où il participe à un spectacle. On parle de lui comme « un parolier qui sait cacher la tristesse sous le sourire le plus éclatant » (op. cit. p. 49). Il écrit « la chanson de Paris », rencontre Jean Cocteau et Jean Marais, reçoit de Cocteau un dessin… (op. cit. p. 50). Viennent « Sous le ciel de Paris » (Sous le ciel de Paris/Marchent les amoureux/Le bonheur se construit/Sur un air fait pour eux), que tant, y compris des jazzmen, vont interpréter (op. cit. p. 54), la rencontre et l’amour avec l’éternelle versatile Edith Piaf, qui chante de lui « L’homme à la moto » (paroles: Jean Dréjac, musique: Lieber et Stoller), et pour elle le voyage aux USA, le voyage à Cuba… Pour elle aussi, ces paroles sur une mélodie qu’elle a depuis longtemps choisie :

Ils ont troué la nuit

D’un éclair de paillettes d’argent

Ils vont tuer l’ennui

Pour un soir dans la tête des gens

Les forains

D’après son fils « Le chemin des forains » serait la chanson dont il était le plus fier. Pourtant, rien de laborieux : son fils le décrit comme un homme écrivant facilement ces refrains… un « homme des muses » (op. cit. p. 71). Il joue à la belote avec Boris Vian, rencontre Jacques Cannetti, dont le rôle dans la chanson française de l’époque est immense, copine avec Michel Legrand, un benjamin pour lui mais qui va le dépasser en célébrité (op. cit. p. 102), écrit pour Zizi Jeanmaire (« Mon beau tatoué, t’as tout »), Patachou, qui veut « une bonne Dréjac » (op. cit. p. 103), Serge Reggianni, Henri Salvador (op. cit. p. 115), Jean-Claude Pascal (op. cit. p. 125)… Tout lui sourit. Même si le ton devient un peu plus grave :

Je crois qu’il vaut mieux

S’aimer un peu moins

C’était un grand feu

C’était une flamme


C’était un programme

Très ambitieux

Mais, comme Jacques Canetti, il sera submergé par la vague du « yé-yé », par ce brusque changement de tendance soutenu par l’émission et le journal « Salut les copains », auquel seuls Brassens, Brel ou Ferré et quelques autres auront pu résister. Il est mort à quatre-vingt-deux ans, en 2003.

Publié le : 
15 Novembre 2015
Auteur de l'article : 
Jérôme Huet
Source(s) : 
Dréjac