Blues et féminisme noir

L’ouvrage, fortement documenté, qu’est « Blues et féminisme noir », dont Toni Morrison a pu dire dit qu’il aura été pour lui « une révélation et une véritable rééducation » (éd. américaine, 1999 ; trad. J. Bordier, Libertalia, 2017), explore l’œuvre de deux « blueswomen », quelque peu oubliées, Gertrude « Ma » Rainey (1886-1939) et Bessie Smith (1894-1937), et y ajoute développements consacrés à Billie Holiday (1915-1959). La première incarne le blues traditionnel, la seconde, le blues classique. Dévalorisée par certains spécialistes du blues et du jazz – des hommes blancs pour la plupart –, l’œuvre de ces chanteuses affirme la place et les revendications d’autonomie des femmes noires américaines. En analysant et en contextualisant les paroles de leurs chansons, Angela Davis, qui fut professeur de philosophie, met en évidence les prémices du féminisme noir et les signes avant-coureurs des grandes luttes émancipatrices à venir. Elle montre que Ma Rainey et Bessie Smith furent les premières rock stars de l’histoire de la musique : or elles étaient noires, bisexuelles, fêtardes, indépendantes et bagarreuses. Elles posèrent les bases d’une culture musicale qui prône une sexualité féminine libre et assumée, qui appelle à l’indépendance et à l’autonomie des femmes aux lendemains de la période esclavagiste, en revendiquant avec détermination l’égalité de « race » et de genre. Et, en évoquant l’œuvre de Billie Holiday, Angela Davis réhabilite la conscience sociale de cette chanteuse d’envergure, trop souvent présentée sous le simple prisme des turpitudes de sa biographie. Un livre ne pas rater.
 

Publié le : 
26 Décembre 2017
Auteur de l'article : 
Jérôme Huet
Source(s) : 
Blues et féminisme noir