Ordre public et contenu des chansons

Il y a peu – ou pas ? – d’exemples d’œuvres artistiques, en particulier musicales, censurées quant à leur contenu en raison de leur contravention à l’ordre public (1). De l’édition de « Mein kampf » (2) aux sketches de Dieudonné, en passant par la chanson où l’on entendait dire « nique ta mère », les occasions pourtant ne manquent pas. C’est à nouveau sur ce sujet que se prononce un arrêt de la Cour de Versailles, du 18 février 2016, rendu sur renvoi après un arrêt de cassation de la Chambre criminelle du 23 juin 2015 (Légipresse, avr. 2016, n° 337, p. 226, note J. Englebert), qui rejette la demande en application d’une la loi pénale sanctionnant l’injure publique à raison du sexe – ici, féminin – et au titre de l’incitation à la haine, à la violence et à la discrimination à raison de l’appartenance à un sexe – ici encore, féminin – à une chanson d’Aurélien Cotentin dans laquelle on voyait traiter – avec une grande délicatesse – les femmes de « putes », de « truies » ou de « tasspés », justes bonnes à le faire « péter l’uc » ou à se faire « marie-trintigner »… ». La raison de cette sorte d’immunité tient, selon les juges, à la liberté d’expression et au fait « le domaine de la création artistique est soumis à un régime de liberté renforcée afin de ne pas investir le juge d’un pouvoir de censure qui s’exercerait au nom d’une morale nécessairement subjective », alors que les propos en cause sont le « reflet d’une société vivante…, du malaise d’une génération » ; et selon l’annotateur de l’arrêt dans la revue Légipresse, à la « distanciation » qui fait que leur auteur ne prend pas à son compte les propos en cause, mais fait parler ainsi des protagonistes de ses chansons. La Cour de Versailles, d’ailleurs, l’avait dit aussi en soulignant que le chanteur « ne revendique pas à titre personnel la légitimité de leurs discours ». Et précision doit être donnée que cette distanciation peut exister même si l’artiste s’exprime à la première personne en disant « je » car, comme chacun sait : « je est un autre », comme le disait Arthur Rimbaud. Entendons nous également sur la sanction à appliquer : il ne s’agit pas de priver l’œuvre de la protection du droit d’auteur, mais de l’interdire tout simplement. On voit bien en tout cas ce qui fait l’originalité de la matière artistique et, notamment, de la musique.

(1) V. notamment sur ce point, Droit de la musique, par J. Huet, V. Varet, M. Chabaud et alii, Lextenso 2016, n° 56.

(2) Sur la condamnation de l’éditeur par le Tribunal de grande instance de Paris le 12 juillet 1978 à insérer un avis aux lecteurs leur permettant de connaître le contexte passé et actuel du nazisme, v. D. Alexandre, Ph. Coen et J.-M. Dreyfus, pour en finir avec Mein Kampf et combattre la haine sur internel, 2016, p. 46 s.

Publié le : 
24 Mai 2016
Auteur de l'article : 
Jérôme Huet
Source(s) : 
Légifrance