Licence légale et musique « libre »

Dans un jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 18 novembre 2016, il a été décidé qu'en vertu de l'art. 214-1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) la Société pour la perception de rémunération équitable (SPRE), organisme chargé de collecter la rémunération équitable pour le compte des société de gestion de producteurs et d'interprètes, pouvait demander à la Société Tapis Saint-Maclou de s'acquitter d'une contribution à rémunération équitable pour avoir sonorisé ses locaux avec de la musique prise sur le site de musique « libre » Jamendo. Derrière cet énoncé fort technique se cachent des intérêts bien réels, en termes aussi bien humains que sociaux. Pour le comprendre, il faut d'abord savoir que l'art. 214-1, tout en dispensant les diffuseurs de musique – radios, discothèques, lieux sonorisés... – d'avoir à demander une autorisation aux producteurs de phonogrammes, et donc d’enregistrements de musique (comprendre : disques, CDs ...), ni aux interprètes, les rend obligent, en contrepartie de cette liberté, à leur verser une « rémunération équitable » : c'est ce qu'on appelle une licence légale. Il faut savoir aussi que le site Jamendo, racheté depuis, se veut un site de « libre » c'est-à-dire de musique sans droits, en marge de la gestion du droit d'auteur, de ses rigueurs et de ses coûts. On voit donc que s'opposent deux mondes : un monde classique, établi sur une gestion traditionnelle, un monde atypique qui se veut hors normes. Ce dernier étant fait surtout pour des artistes en herbe, encore inconnus, et qui ne souhaitent pas adhérer aux sociétés de gestion collective, ni se couler dans leur moule. Dans le cas d'espèce, la Société Tapis Saint-Maclou avait sonorisé ses locaux commerciaux avec des musiques trouvées sur ce site de « libre » et avait conclu un contrat de diffusion pour un prix déclaré sans droit et avec l'autorisation de l'auteur-interprète (qui avait adhéré au système de diffusion du site : consultation gratuite, sonorisation de locaux payante, mais économique pour l'utilisateur). Elle estimait donc ne rien devoir dans le système classique : elle avait dû faire valoir que l'art. 214-1 n'avait pas à s'appliquer en l'espèce; et d'ailleurs il n'y avait aucune autorisation de producteur – le phonogramme ayant été auto-produit – ou d'interprète dont il aurait fallu se passer : on l'avait déjà. De son côté, la SPRE considérait qu'était diffusés par la Société Tapis Saint-Maclou des « phonogrammes du commerce » – un phonogramme étant un enregistrement musical aussi bien matériel qu'immatériel ; il était dans le commerce car utilisable moyennant le versement d’un prix. Des deux interprétations, le tribunal a choisi la seconde, au risque d'entraver le développement du « libre » et d'en dénaturer le sens. Et de mal appliquer l'art. 214-1 CPI.

Publié le : 
30 Décembre 2017
Auteur de l'article : 
Jérôme Huet
Source(s) : 
Divers