Inspiré de…

Les progrès de l’intelligence artificielle sont tels qu’il risquent bien de bousculer les certitudes établies en droit d’auteur. Il commence à se dire que, grâce à des algorithmes devenus de plus en plus puissants – entendre par là des logiciels d’intelligence artificielle -, il devient possible de créer des œuvres, notamment des morceaux de musique, qui ont l’air d’être de tel ou tel compositeur : Bach, les Beatles, Chopin… Les créations en cause ne ressemblent pas à telle ou telle œuvre : elles sont comme étant de tel ou tel compositeur, « inspirées de » l’ensemble de son œuvre. Concrètement, on introduit dans la machine une cinquantaine de partitions de tel compositeur et, à la sortie, on récolte quatre ou cinq morceaux qu’il aurait pu avoir créés. On en choisit un comme étant le meilleur : il est « inspiré de »… (sur le processus et les problèmes juridiques qui en résultent, v. l’article de Jean Marc Deltorn, Deep Creations: Intellectual Property and the Automata, qui utilise l’expression de “style transfer” mechanics, http://journal.frontiersin.org/article/10.3389/fdigh.2017.00003/full). Deux sortes de questions juridiques se posent alors : la propriété de l’œuvre finale, les droits du compositeur initial. Sur la première, la question de la propriété de l’œuvre finale, on trouve déjà des éléments de réflexion chez ceux qui ont examiné le cas des « œuvres générées par ordinateur » et l’on admet assez volontiers que l’intervention de la machine ne prive pas celui qui s’en sert de sa liberté de créateur (v. notamment A. et H.-L. Lucas et Agnès Lucas-Schoeltter, Traité de la propriété littéraire et artistique, Lexis-Nexis 2012, n° 59 et 147, qui insistent cependant sur le fait qu’en France on est adepte de la conception « personnaliste » du droit d’auteur et considèrent qu’on devrait « refuser de regarder comme des œuvres protégeables des images obtenues automatiquement »  à partir d’un satellite par exemple). Mais en l’occurrence on sent que l’on va beaucoup plus loin et que l’apport créateur de celui qui utilise la machine devient de plus en plus ténu. Il choisit les partitions en amont, il choisit l’œuvre finale en aval… Est-ce assez pour qu’il en soit auteur ? Quant à la seconde question, celle des droits du compositeur des créations initiales, elle échappe encore plus à l’analyse en termes de droit d’auteur. Laissons de côté l’argument – qui ne vaut que pour des œuvres encore sous protection – que l’on ne devrait pas pouvoir reproduire une œuvre : car, en droit français, le droit de reproduction de l’auteur, et donc sa faculté d’interdire, sont limités au cas où il y a communication de celle-ci au public, au cas où il y a exploitation (par diffusion sur des ondes, par distribution d’exemplaires, par exemple). Ce n’est pas le cas en l’occurrence. Avant tout ce qu’il faut observer est qu’il n’y a pas plagiat d’une œuvre en particulier : donc, il n’y a pas de contrefaçon. A première vue, le compositeur des œuvres utilisées au départ ne trouvera dans les règles du droit d’auteur aucun argument pour faire valoir un droit sur l’œuvre finale, même si elle a été « inspiré de… » lui.

Publié le : 
25 Décembre 2017
Auteur de l'article : 
Jérôme Huet
Source(s) : 
Divers